Véritable enjeu de notre société, Emmanuel François nous donne sa vision de la ville intelligente de demain avec les différentes évolutions à suivre ces prochaines années.
1- Pour débuter ce nouvel épisode, peux-tu nous décrire qui tu es et quel est ton background ?
Après avoir fait une école de commerce j’ai toujours été actif dans la technique et plus particulièrement autour de la thématique « Automatisme du bâtiment et Bâtiment Intelligent » à des fonctions de Direction Commerciale ou Direction Générale. Il y a 10 ans, j’ai pris conscience des grandes mutations à venir face aux enjeux de société et j’ai décidé de devenir consultant pour accompagner ces transitions en toute neutralité. Après 5 ans, j’ai décidé de créer la SmartBuildings Alliance for Smart Cities avec le concours de Serge Le Men avec lequel je partageai la vision et j’en assume désormais la présidence.
2- Comment vois-tu la ville intelligente de demain ?
La ville intelligente est avant tout une ville cognitive, c’est-à-dire en harmonie avec son environnement et ses occupants. Elle est connectée, hyper connectée comme le sont ses habitants. Elle s’adapte en temps réel aux différentes situations pour le bien être de ses habitants, leur sécurité et assurer le meilleur service au moindre coût économique et environnemental. Elle communique des données multiples, elle assure la traçabilité de tous les actes et elle est garante de la confidentialité des données. Bien entendu cela nécessite de s’appuyer sur la technologie notamment l’IA.
3- Quelles sont les nécessités actuelles en terme d’usage pour une ville ?
Il est difficile de répondre à cette question tant les enjeux sont nombreux et multiples. La problématique des gilets jaunes le démontre d’ailleurs très bien, malheureusement. Cependant, je pense qu’il y a des sujets majeurs tels que la mobilité et le logement. A l’heure du numérique, il convient de repenser à la fois la mobilité et l’usage des espaces afin de réduire les temps de transport et en réduire l’empreinte carbone tout en apportant plus d’activité et de service à proximité des lieux de vie. Il est urgent et particulièrement en France d’en finir avec la ghettoïsation de nos villes. J’entends par là des ghettos où l’on travaille, des ghettos où l’on dort, des ghettos où l’on apprend, des ghettos où l’on se cultive, des ghettos où l’on commerce, des ghettos où l’on se soigne etc… Ce monde est révolu et nous devons impérativement repenser nos villes et l’aménagement de nos territoires avec pour objectif principal une plus grande mixité des usages. C’est possible. Ce n’est pas utopique. C’est juste essentiel.
4- Ces besoins sont-ils similaires pour tout type de ville, indépendamment de sa superficie ?
Bien entendu, chaque ville a sa particularité, qui est parfois liée à son histoire, sa culture, sa géographie, son climat, etc… il faut s’adapter à ces différents contextes. Nous n’allons pas avoir un modèle unique. Cependant il y a des fondamentaux tels que ceux évoqués précédemment comme la mixité d’usages et d’une manière plus générale la nécessité d’apporter à un plus grand nombre un plus grand nombre de services. J’entends par la le travail, la santé, la sécurité, le logement, la mobilité, l’enseignement, la formation, la culture, … et bien entendu les services essentiels tels que l’énergie, le traitement des déchets, l’eau et le traitement des eaux usées.
Nous devons comprendre qu’avec internet, notre monde a fondamentalement changé. Toutes les activités qui étaient concentrées et centralisées peuvent désormais être également déportées. Le Travail avec le télétravail, le commerce avec l’e-commerce, la Santé avec l’e-Santé, la formation et l’enseignement avec les MOOC, etc… il en va de même pour l’énergie avec les ENR et la production et stockage local, le traitement des déchets qui peut être en partie retraité localement , le traitement de l’eau avec du stockage et du retraitement local ou encore l’agriculture ou l’industrie qui peuvent être repensées. C’est fondamental de comprendre cela. C’est une formidable opportunité pour rééquilibrer les territoires , être plus durable et assurer un accès aux services et aux activités beaucoup plus équilibré.
5- Quels sont les freins actuellement ?
Les freins sont avant tout humains. Plus j’avance et je dialogue, plus je me rends compte que malgré l’intérêt que mes propos peuvent susciter, le principal obstacle est avant tout la volonté de se remettre en cause et de remettre en cause une organisation et des habitudes. D’une manière plus générale, nous avons trop tendance à regarder le monde de demain avec les lunettes d’hier et cela ne marche pas. Je dirai même que c’est potentiellement dangereux car il risque d’y avoir des décalages importants et dommageables. Bien entendu ce n’est pas donné à tout le monde d’être visionnaire et leader mais je pense que bien expliqué, tout le monde est apte à comprendre et à se mettre dans une autre dynamique, car la prise de conscience des enjeux est là, elle est partagée et donc la volonté de changement est manifeste. Il faut surtout donner et expliquer la vision, c’est-à-dire le cap et les moyens pour y arriver, ensemble.
6- Quelles sont les étapes clés pour rendre cette ville intelligente ?
Tout à l’heure, je vous ai dit que nous allions résolument vers un monde connecté, hyper connecté, où tous les individus seront connectés (c’est déjà le cas chez nous et ce le sera vraisemblablement dans le monde à horizon 5 ans) et tous les équipements et infrastructures seront également connectés et inter-agirons en temps réel. Bien entendu pour cela le pré requis est d’avoir une infrastructure numérique dans la ville, unique, mutualisée pour tous les services et activités. Cela nécessite également d’avoir du réseau et ce n’est pas encore le cas partout. Il faut également de la confiance. Sans confiance, les usagers auront beaucoup de mal à franchir le pas. C’est sur ce sujet que la SBA travaille avec son cadre de référence Ready2Services (R2S) qui garantit à la fois l’interopérabilité des équipements et des systèmes, l’ouverture des données et un accès sécurisé à ces données en préservant la liberté individuelle. C’est fondamental.
Il faut ensuite bien exposer la finalité. Sans pédagogie, la transition sera difficile. Enfin et c’est effectivement essentiel, il faut un cadre juridique et règlementaire qui accompagne ce changement.
7- Est-il un investissement judicieux pour toute ville ?
Comme évoqué précédemment, il faut avant tout une infrastructure numérique vers laquelle converge les services et activités. L’éclairage publique peut être un bon vecteur et c’est d’ailleurs le choix pris par la ville de Dijon. Il faut ensuite instrumenter la ville pour assurer la captation des données et permettre progressivement un suivi en temps réel des services et activités.
8- Qu’en est-il de sa durabilité ?
Les solutions doivent être durables. C’est pourquoi il y a le cadre de référence R2S qui justement insiste sur l’ouverture des données, l’utilisation d’APIs génériques et la mise en place de solutions résiliantes et sécurisées avec l’assurance d’un management responsable permettant d’assurer la maintenance et la mise à jour en temps réel des applications.
9- Quelle sera la place de l’usager dans cette ville intelligente ?
Pour moi, l’usager est au centre de la ville intelligente. Il en est à la fois l’acteur et le consommateur. Il co-construit sa ville et est impliqué au quotidien dans sa gouvernance en s’appuyant sur de nouveaux outils tels que la plateforme de services ou la blockchain qui permet d’assurer la traçabilité. Il est responsable car il est informé en temps réel sur son environnement et des conséquences des ces actes sur cet environnement.
10- Quels seront les acteurs impliqués à cette transition vers la ville intelligente ?
Nous sommes juste en train d’écrire l’histoire. Il est clair qu’aujourd’hui la ville intelligente attire toutes les convoitises du fait de la taille du marché que cela représente et bien entendu du pouvoir potentiel qu’elle peut conférer à un acteur. C’est pour cela d’ailleurs qu’aussi bien les GAFAM ou les BATX investissent massivement sur la ville intelligente et sont juste en train de modéliser des cas afin de les reproduire ensuite à grande échelle. C’est par exemple le cas de Google à Toronto ou Amazone à Seattle. Je pense cependant qu’il y a d’autres alternatives possibles avec l’avènement de plateformes de services managées par un triptyque associant public, privé et citoyens.
11- Avec les nombreux problèmes liés à notre société actuelle comme la pollution, la surconsommation d’énergie ou bien d’autres… la ville de demain pourrait-elle affronter ceux-ci ?
Ce doit justement être la finalité de la ville intelligente. Certains diront que le numérique nécessite des Data Centers et que cela est très énergivore. Cependant, le gros des données traitées par les Data Centers sont surtout de l’entertainment et par ailleurs il est possible aujourd’hui de concevoir des Data Centers alimentés par des énergies renouvelables et idéalement en courant continu. C’est le cas en Chine notamment.
12- Quels seront les risques liés à cette transition vers cette smart city ?
Il y a bien sûr des risques. Le principal à mon sens est la sécurité. A partir du moment où tout est connecté et interconnecté il y a un véritable risque, mais je dirai que ce risque est déjà là aujourd’hui, malheureusement. La SBA en est consciente et la cybersécurité fait partie de ses principales priorité avec une volonté de gérer ce sujet de la manière la plus large et dynamique possible. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle nous internationalisons pour mutualiser les expériences et expertises.
13- Pour finir, as-tu des informations utiles à nous transmettre te concernant ?
Comme je l’ai exposé, la technologie est là et doit nous permettre de relever les enjeux actuels tant environnementaux, économiques et sociétaux, mais la technologie à elle seule ne suffit pas. Il faut l’adhésion de chaque être humain. C’est pourquoi j’ai décidé de lancer une fondation, la fondation MAJ, destinée notamment aux générations futures pour porter une nouvelle vision et montrer qu’il y une autre voie pour un autre monde, plus durable, plus social et plus équilibré. Mon objectif est de porter cette vision au plus près de tout individu afin qu’il s’en empare qu’il échange, qu’il contribue à l’enrichir et surtout la porte dans sa vie quotidienne. Je ne pense pas que la réponse viendra d’un quelconque dirigeant quel qu’il soit. C’est une erreur issue de nos réflexes et habitudes du passé. La réponse doit venir de nous, partagée, co-construite, vécue et enrichie au quotidien. Il faut utiliser le numérique à sa juste valeur et dans ce cas, il peut être une réelle opportunité, je dirai même un cadeau pour l’humanité.
Emmanuel FRANCOIS. Saint Didier au Mont d’Or.