La domotique permet de répondre à différents besoins comme par exemple, dans le milieu de la santé mentale pour être au service de l’humain.
1- Pour débuter cet épisode, peux-tu nous décrire qui tu es et quel est ton background ?
Qui je suis ? On va dire un grand garçon de 40 ans, fils d’un ingénieur en informatique et d’une professeure de piano : j’évolue avec les 2 types de clavier depuis mon + jeune âge, et pour joindre ces 2 domaines, j’ai choisi l’art et la science de la médecine. Si j’aspirai à devenir psychiatre, je suis devenu Docteur en santé publique et médecine sociale, et je me suis spécialisé en information et informatique médicale en santé mentale. Pendant 4 ans j’ai été chef du Département d’Information Médicale (DIM) d’un établissement de santé mentale, responsable du paramétrage du dossier patient informatisé, du codage, de l’analyse et de la diffusion de la data générée par tous les professionnels de santé. Mais il y a 2 ans j’ai choisi d’exercer la santé mentale au + près des patients et des professionnels de santé, et pour ce faire je me forme à la psychiatrie clinique, pour devenir psychiatre… 2.0 !
2- Quelle est la problématique constatée dans le milieu de la santé mentale ?
« Le problème, c’est la crise ! ».
En psychiatrie, on définit la crise comme un état réversible temporaire correspondant à une rupture d’équilibre relationnel du sujet avec lui-même et son environnement : si on transpose cette définition à l’échelle de notre société, on peut dire qu’elle connaît elle-même une période de crise, et que son offre de soins psychiatriques n’en est qu’un prisme. Le modèle psychiatrique actuel repose essentiellement sur le concept de la sectorisation, créé en 1960 dans un mouvement humaniste post-seconde guerre mondiale : s’il a eu comme objectif de dépasser le concept « d’asile » en développant une psychiatrie dite « hors les murs », aujourd’hui on peut penser que malgré lui il a dressé une forteresse entre la psychiatrie et le monde d’aujourd’hui. Tout en respectant ses valeurs fondatrices, il s’agit désormais de « faire un update », c’est-à-dire actualiser ce modèle en intégrant la psychiatrie dans celui + global qu’est celui de la santé mentale, défini par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme un modèle tridimensionnel : les troubles psychiatriques avérés, la détresse psychologique réactionnelle, et l’épanouissement personnel.
Si la psychiatrie assure aujourd’hui une prise en charge totale, la santé mentale repose sur un modèle global qui intègre les personnes atteintes d’un trouble psychiatrique, ou pas : elle concerne donc chacun de nous.
3- Pour quelles raisons serait-il intéressant d’adopter de la domotique dans ce type d’infrastructure ?
« sudo apt-get update && sudo apt-get upgrade »
Après une actualisation de notre système psychiatrique, il s’agit donc de l’upgrader = le mettre à jour. Comment ? En lui faisant profiter des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), et parmi elles : la domotique.
Aujourd’hui on entend beaucoup parler de télémédecine, où l’informatique sert d’intermédiaire entre 2 humains (télé-consultation, télé-assistance, télé-expertise, etc). C’est un outil très intéressant pour augmenter l’offre de soins et je travaille actuellement sur sa mise en production, mais avec la domotique l’informatique n’est + un intermédiaire : elle est au service de l’humain.
Les détracteurs y verront une déshumanisation des soins, les progressistes une humanisation des soins : plutôt que de saisir – dans un logiciel des années 80.. – qu’un patient occupe un lit d’hospitalisation, qu’il est sorti de l’unité de soins, qu’il a participé à telle activité, etc, on évite au professionnel de santé un ensemble de tâches administratives, pour lui faire gagner du temps disponible pour lui, le patient, et les soins.
4- Tous les hôpitaux psychiatriques pourraient-ils bénéficier de cette domotique ?
La réponse est oui, mais à la condition que son application soit simple, fiable, reproductible, acceptable, peu coûteuse, et valide.
5- Quelles seraient les étapes de mise en œuvre pour obtenir une solution domotique adaptée ?
A ma connaissance il n’existe pas encore d’application « valide », et il faut bien commencer quelque part : parmi les sujets sensibles du moment en psychiatrie, il y a celui de l’isolement et la contention. S’il s’agissait d’une thérapeutique en + de celle des traitements médicamenteux, il s’agit davantage aujourd’hui d’un moyen permettant d’accéder au soin pour des personnes dont l’état psychique du moment ne leur permet pas d’y consentir, et depuis la parution de recommandations de la Haute Autorité de Santé en 1998, cet isolement +/- contention doit se faire dans un espace dédié et sécurisé. Pour autant, des abus de leur pratique ont fait l’objet d’une circulaire parue en 2017 et qui stipule qu’il doit s’agir une solution uniquement de dernier recours, pour prévenir un danger immédiat ou imminent.
Il était temps que cette circulaire paraisse (j’en suis témoin), mais si je peux lire beaucoup d’incantations pour prévenir ces isolements et contentions, je n’ai pas encore vu de solutions concrètes : c’est alors que je me suis dit que la domotique pourrait devenir une alternative.
Pour ce faire, j’ai reconsidéré la notion de « chambre d’apaisement » : historiquement elle se voulait être un espace alternatif à celle dédiée à l’isolement et la contention, mais le temps en a fait perdre sa distinction et diminuer son nombre (voire même supprimer son existence). Avec la domotique, je requalifie cette chambre d’apaisement en donnant la possibilité pour son utilisateur d’en rester acteur : si le patient reste passif en chambre d’isolement +/- contention, dans cette chambre d’apaisement il reste maître de son environnement, en agissant sur ses sens.
Pour commencer, j’ai développé un prototype à la maison capable de permettre à l’utilisateur de choisir la couleur de la pièce et le son l’accompagnant, avec comme objectif de proposer une combinaison couleur+son pour chaque état émotionnel. Mais pour tester la solution en situation réelle, il fallait que je « professionnalise » mon prototype d’amateur : pour ce faire, je me suis mis en contact avec Bruno Tellez un enseignant de l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) informatique de Bourg-en-Bresse, et actuellement 2 étudiants travaillent actuellement sur la partie software, dont un chez Jeedom !
6- Quels sont les dispositifs judicieux et à adopter selon toi ?
La psychiatrie est pauvre (…), et il n’y a pas de petites économies.
Lorsque j’étais médecin DIM, j’ai eu la chance de rencontrer un informaticien hors normes qui m’a initié au monde de l’open-source : à la recherche d’une solution efficiente (et gratuite !) pour que les professionnels de santé apprennent à utiliser le dossier patient informatisé, il m’a dédié un serveur où j’ai pu administrer un site intranet avec wordpress dessus, dans lequel j’ai publié des articles de vulgarisation sur l’information médicale en psychiatrie, des « tutos » écrits puis vidéos, puis des webapps, etc. Curieux de savoir comment marchait le background, il m’a appris ce qu’était un serveur et comment en installer un chez moi avec Ubuntu. J’ai ensuite découvert Github, puis + tard Docker, etc (me rappelant au passage que le monde informatique était aussi vaste et complexe que celui du psyché).
Je me suis donc naturellement tourné vers les solutions software open-sources pour respecter les conditions citées précédemment : « peu coûteuses » puisque gratuites (du moins leur code source), « fiables » puisque reposant sur une communauté d’utilisateurs et contributeurs nombreux, réactifs, libres et indépendants, et « reproductible » puisque les codes sources sont librement accessibles.
Quant aux solutions hardware, j’ai aussi voulu respecter les mêmes conditions en utilisant le principe mis à disposition du particulier = le Do It Yourself (DIY) : avec un Raspberry Pi, un micro USB, une enceinte USB, une ampoule multicolore, et tout ce qui me passait sous la main.. !
7- Pourquoi opter pour des assistants vocaux ?
En Suisse, des informaticiens avaient développé une « chambre d’isolement musicale », permettant à un patient isolé de choisir dans la chambre d’isolement une musique parmi une playlist en appuyant sur des touches avec symbole disposées sur un des murs de la chambre d’isolement. Mais pendant ces temps d’isolement il est possible que le patient soit aussi contenu, parce que son état sur le moment représente un danger immédiat pour lui-même, malgré un accompagnement humain et médicamenteux. Alors que j’assistai à leur présentation du dispositif lors d’une journée nationale de recherche en psychiatrie, je leur ai posé la question suivante : « Mais comment on fait quand on est contenu !? ». Avant d’entendre leur silence, j’ai eu ma réponse : la commande vocale (!). Quoi de + « simple » ?!
8- Quelles idées de scénarios seraient utiles pour une meilleure expérience du patient ?
A partir du moment où j’ai pensé à l’assistance vocale, mon cerveau s’est mis en route, et je me suis posé un tas de nouvelles questions , jusqu’à ce que je me dise qu’on pourrait utiliser ce système non pas dans le cadre d’une chambre d’isolement à visée curative, mais en amont à visée préventive : mais comment ? Pour information, avant d’en arriver à l’isolement et la contention, on dispose actuellement de 2 moyens : la parole, puis le traitement médicamenteux. Il s’agit donc de développer une 3ème alternative, en proposant un espace d’apaisement isolé, sécurisé, où l’utilisateur pourra choisir une ambiance selon son état émotionnel.
Et en termes d’émotions il existe toute une palette, avec en regard autant de réponses et de scenarii possibles : euphorie, exaltation, colère, tristesse, etc. Prenons un exemple : si un patient se sent en colère, il pourra dire à l’assistant vocal : « Mets moi un truc qui défoule », et alors le système déclenchera une couleur rouge avec une musique style rock’n’roll, scenario pendant lequel il pourra se défouler donc (en dansant, criant, frappant sur un punching-ball, etc). Ou alors : s’il se sent trop dispersé, il pourra dire « J’ai besoin de calme », ce qui déclencherait une lumière bleue et un son de vagues, scenario pendant lequel il pourra s’apaiser (en s’asseyant, s’allongeant, en méditant, etc).
J’ai fait une recherche bibliographique, et plusieurs études scientifiques ont corrélé de manière statistiquement significative l’association d’une couleur à un état émotionnel correspondant : ne me reste + qu’à paramétrer tout ça (!).
Mais tout ça c’est la première étape, et je veux un système dynamique, où l’utilisateur pourra toujours affiner le scenario en court, en jouant sur le son ou la lumière, notamment en lui laissant la possibilité de choisir un stimulus différent, et/ou de jouer sur leur intensité. Je veux aussi un système évaluable, dans le sens où chaque usage personnalisé générera des logs que je serai capable d’analyser afin de faire évoluer l’outil, comme je devrai être capable de mesurer l’impact de l’utilisation de cette chambre sur la qualité des soins (moindre recours à l’isolement, diminution de la durée d’hospitalisation, diminution de la consommation de médicaments, etc).
9- L’expérience du professionnel sera-t-elle également améliorée ?
Comme dit + haut (cf. question 3), l’expérience du professionnel en sera grandement améliorée, puisque si la solution est efficace il n’aura pas à gérer la crise, mais la prévenir. Et +tôt que d’endosser le rôle de celui qui aura privé le patient de ses libertés, le professionnel deviendra celui de l’aidant qui lui aura permis de les conserver.
Et d’ailleurs, pourquoi le professionnel ne profiterait pas lui-même de l’outil ?! À l’instar des laboratoires pharmaceutiques qui doivent tester l’innocuité d’un médicament sur sujets « sains » avant mise sur le marché, j’envisage de tester ma solution d’abord avec mes collègues, « sains » donc (!), avant d’en faire profiter les personnes souffrant de troubles psychiatriques avérés.
10- Devez-vous impérativement vous passer d’internet dans le milieu de la santé mentale ?
Dans les systèmes de santé nous faisons du soin, et générons des données de santé dites sensibles, imposant le respect d’une législation rigoureuse, notamment celle du Règlement Général de la Protection des Données (RGPD), mais de + celle de l’Hébergement de Données de Santé (HDS). Nous pouvons tout à fait utiliser internet et alors stocker les données sur des serveurs distants ayant l’agrément HDS, mais nous pouvons aussi utiliser notre propre système informatique hospitalier ayant ses propres serveurs in situ, lui octroyant de facto ce-dit agrément.
Mon prof de maths du lycée vantait le mérite d’être partisan du moindre effort, et j’aime beaucoup l’idée de pouvoir rester maître des données que l’on génère : j’ai donc choisi la 2ème option, « acceptable », et que m’ont permis Jeedom et Snips (!).
11- Avec la solution Jeedom et Snips, les données ne sont donc pas transmises sur internet ?
Si l’on doit au préalable utiliser internet pour télécharger l’image de Jeedom ainsi que l’assistant configuré pour une utilisation personnalisée de Snips, une fois installés sur la carte SD de son Raspberry Pi, vous pouvez tout simplement le déconnecter d’internet : l’installation fonctionne en totale autonomie, et toute la data générée reste en boutique (!).
12- Cela représenterait-il un bon investissement selon toi ?
Mon prototype m’a coûté environ 150 euros tout compris : un coût certain à l’échelle d’un particulier, un coût insignifiant à l’échelle d’un établissement hospitalier. Donc ma réponse à la question est oui : sans hésitation.
13- Envisages-tu d’autres usages de domotique dans le futur dans le milieu de la santé mentale ?
Si cet exemple de domotique s’applique à une solution comme alternative à l’isolement et la contention, on pourrait très bien l’appliquer à n’importe quelle chambre d’hospitalisation en psychiatrie, et qui sait il pourrait très bien aider à la relaxation comme à l’endormissement à la place d’un traitement médicamenteux ? Même si le nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie a énormément diminué depuis les 50 dernières années, il en existe encore 50000 en France, et donc possiblement 50000 bénéficiaires chaque jour..
Comme autres applications, j’envisagerai bien la réalisation par la domotique de tâches administratives réalisées à ce jour par les soignants : localisation d’un patient (affectation d’un numéro de chambre, transfert d’un service à un autre), validation de l’administration d’un traitement médicamenteux, participation à un atelier thérapeutique de groupe, durée d’un entretien et avec qui, etc. Autant de tâches qui me rappellent qu’un professionnel de santé n’est pas payé pour ça..
14- Pour finir, as-tu des informations utiles à nous transmettre te concernant ?
« Utiles » je ne sais pas, mais si vous êtes curieux : cherchez moi sur la toile (!).
Bien à vous.